REFONDER LE PROJET EUROPEEN
Trois dérives minent le projet européen mis sur rail dans l’immédiat après-guerre. Dérives démocratique, morale et nationaliste.
L’Europe n’a pas de Gouvernement, elle est toujours sous tutelle de vingt-sept chefs d’Etat et de Gouvernement, dont le souci premier reste la sauvegarde de leurs intérêts nationaux d’abord. Dérive démocratique.
L’Europe que l’on voit aujourd’hui est à mille lieues du plan imaginé dès 1947 par les pionniers, Schuman, de Gasperi et Spaak, qui avaient proposé une « Europe unifiée ». On n’a qu’une pâle Fédération d’Etats-nations. Dérive morale.
Le projet européen avait pour objectif de mettre fin une fois pour toutes aux pathologies nationalistes du XXe siècle. Les nationalismes rebondissent aujourd’hui, parfois dans leurs formes les plus radicales. Or, la compétition d’aujourd’hui ne s’exerce plus entre Etats-Nations, mais entre entités supranationales, entre Empires. L’emprise de Samsung la coréenne sur Nokia la suédoise en atteste. Dérive nationaliste.
Surprenant réveil pro-européen
Or, le BREXIT a pour effet collatéral et inattendu le réveil des valeurs européennes. En plein été, « Le Monde » du 16 juillet 2016 a révélé les résultats étonnants de l’enquête conduite au lendemain du 23 juin 2016 par l’Institut IFOP, à Paris. « Diriez-vous, aujourd’hui, pour votre pays, que c’est plutôt une bonne ou une mauvaise
chose que d’appartenir à l’Europe ? ». Les résultats sont saisissants, ils ont bondi, d’un coup, dans toute l’Europe, de 70% à 80%. Le regain de sentiment pro-européen oscille de 67% en France à 89% en Pologne, de 75% en Belgique à 81 % en Allemagne et en Espagne. Qui l’eût cru ?
Le projet européen a donc le vent en poupe. Il est souhaité par les deux-tiers de ses citoyens.
- Mais cette autre Europe sera politique, car le territoire national est de moins en moins pertinent à l’échelle du monde
- Cette autre Europe sera fédérale, elle protégera ainsi les minorités, les petits Etats et leurs histoires particulières
- Elle sera dotée d’un Gouvernement indépendant des entités fédérée et prendra les décisions qui conviennent à l’ensemble européen, et non à ses électeurs nationaux. Le temps de la dépendance n’est plus supportable
- Ainsi que dans toute démocratie, le Parlement contrôlera les Directives émises par le Gouvernement. Ce contrôle est inexistant à l’heure actuelle, tout n’est que bric-à-brac et embrouillamini
- Un Président sera élu au suffrage universel de tous les Européens, et simultanément dans tous les Etats européens. L’Europe actuelle manque de visibilité.
- Le vote à l’unanimité actuellement de règle aura disparu, et avec lui l’intolérable domination des majorités par une minorité, et l’immobilisme qui lui est associé. L’Europe prendra ses décisions à la majorité, ainsi que toute démocratie avancée
- L’Europe n’a pas de politique étrangère actuellement, elle est absente en Crimée, absente au Moyen-Orient, divisée face à la vague migratoire. Ce déficit est préjudiciable à son image dans le monde. Une politique étrangère commune et déterminée s’imposera, arrêtée et conduite par le nouveau Gouvernement
- Une Armée européenne sera chargée d’assurer cette politique étrangère, forte des valeurs européennes que porte l’Europe, soit celle des Droits de l’homme, du suffrage universel, du droit des minorités, toutes valeurs bafouées à ses frontières
- Le choix sera proposé aux Etats entre une adhésion complète et une association simple.
Ainsi, et sans le Royaume-Uni désormais, mettra-t-on fin aux multiples compromis européens qui piègent l’Europe d’aujourd’hui, ainsi que le projet européen dans son ensemble.
Le projet européen est à revitaliser
Le BREXIT offre la chance d’un rebond inattendu du projet européen, dont le projet de Constitution avait été torpillé par la France en 1953, puis par la France et les Pays-Bas en 1955. Un retour aux sources s’impose aujourd’hui, soit un retour à l’Europe des pionniers d’après-guerre ainsi qu’à l’Europe politique et fédérale, préconisée du 27 au 31 août 1947, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, par le Congrès de Montreux, avec l’animation particulière de Denis de Rougemont. La Constitution de Heinrich von Brentano de 1957, coulée par l’Assemblée nationale française, pourrait être l’une des sources de reconstruction d’une autre Europe que celle d’aujourd’hui. Elle est de qualité. La Déclaration de Lenzburg du 20 avril 2002, en treize langues, Collection Forum Helveticum, Lenzburg, émise par le Forum Helveticum à Lenzburg et la Maison de l’Europe transjurassiennne à Neuchâtel, est une contribution originale de la Suisse, dont l’histoire constitutionnelle s’afficherait ainsi « source d’inspiration pour l’Europe », non « modèle », mais « source d’inspiration ». Enfin très récemment et surtout, Guy Verhofstadt, ancien Premier Ministre belge, ancien député européen, issu de quarante années remarquées de responsabilités européennes, a produit l’analyse majeure de ce temps sur ce thème. Sous le titre « Le mal européen », préface de Daniel Cohn-Bendit, Tribune libre, Ed. Plon, à Paris, 2016, il vient de proposer aux peuples européens les conditions de redressement de l’Europe aujourd’hui.
Toutes ces forces sont actuellement réunies par l’Union des Fédéralistes Européens, à Bruxelles, et le Nouveau Mouvement Européen Suisse, à Berne, qui cherchent à rassembler les moyens de rappeler le projet européen tel qu’il avait été profilé en 1947. Un Congrès européen sur le sujet est en préparation, il se tiendra à Montreux le 16 septembre 2017 et s’intitulera « Refonder le projet européen ». Que la Suisse en soit l’hôte a du sens en 2017 autant qu’en 1947. Les peuples européens attendent que revive le projet européen. Carleur attachement pro-européen a bondi depuis le BREXIT.
EXTRAIT DE LA PAGE « DEBATS » DU JOURNAL LE TEMPS, Genève, Suisse
lundi 17 octobre 2016, page 9
Jacques-André TSCHOUMY
Maison de l’Europe transjurassienne, Neuchâtel
NOMES Neuchâtel
Membre du Comité de pilotage de »Montreux 2017 »
jatschoumy@bluewin.ch
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